Pauline Viardot (1821 - 1910)

Portrait de Pauline Viardot par Ary Scheffer –
Musée de la Vie Romantique - Paris
Une personnalité exceptionnelle se cache derrière ce nom aujourd’hui si peu connu, autrefois
si célèbre. La seule référence pour
la plupart, c’est qu'Ivan Tourgueniev a vécu
dans son ombre pendant presque toute sa vie et quelques-uns savent,
de surcroît, que Pauline était la jeune soeur de
la Malibran dont le destin tragique a marqué nos imaginations
et lui a valu une célébrité durable (mezzo-soprano,
très belle, elle s'éteint à l'âge
de 28 ans, en pleine gloire, des suites d’une chute de
cheval).
De son temps, la célébrité de Pauline Viardot
(mezzo-soprano elle aussi) surpassait celle de la Malibran et
rappelle celle que connaît aujourd’hui Maria Callas
par exemple. Avec quelque chose de plus puisque Pauline Viardot
a exercé une véritable influence sur la vie culturelle
du XIXe siècle. En effet, quand ses amis parlaient d’elle,
ils employaient bien souvent le terme de “génie”.
Et les amis s’appelaient Liszt, Chopin, George Sand, Brahms,
Clara et Robert Schumann, Berlioz, Wagner, Tchaïkovski,
Saint-Saëns, Fauré etc…
Le portrait exécuté par son grand ami et admirateur
Ary Scheffer*, peintre alors aussi célèbre qu’Eugène
Delacroix, laisse apparaître bien des éléments
de la personnalité de Pauline. Si elle ne possède
pas la beauté classique définie par les canons
du XIXe siècle, au travers de l’intelligence de
son regard et de la noblesse de son maintien, on devine pourquoi
cette “irrésistible laide” comme la définissait
son ami Saint-Saëns, a tellement fasciné ceux qui
l’approchaient.
Manuel Garcia dans Othello
Bien qu’elle soit née à Paris, Pauline
est espagnole et fait partie de la famille Garcia dont
tous les membres sont des musiciens exceptionnels. Manuel Garcia,
le père est un
ténor célèbre connu de toutes les capitales d’Europe
et même du Nouveau Monde. Compositeur prolifique, il collabore avec
son ami Rossini pour bâtir à sa mesure le rôle du Comte
Almaviva dans le Barbier de Séville. Manuel Garcia,
le frère est le pédagogue le plus réputé du
XIXe siècle
et son Traité de l’Art du Chant a encore valeur de
référence
auprès des chanteurs. Il fait également des recherches sur
les fonctions vocales et invente le laryngoscope. Nous avons déjà parlé de
la Malibran dont la mort a complètement changé le
destin de Pauline Viardot, de 12 ans sa cadette.
Jusque-là, les parents Garcia, trouvant qu’il
y a assez de chanteurs dans la famille, ont décidé que leur
petite dernière sera pianiste. Or la petite montre des dispositions
tellement extraordinaires que son jeune professeur, Franz Liszt,
est persuadé qu’elle
peut devenir la plus grande virtuose de son temps. Mais à la mort
de la Malibran, la famille estime que désormais, il n’y a
plus assez de chanteurs chez les Garcia. Pauline sera donc chanteuse.
Franz Liszt est furieux et aura beaucoup de mal à pardonner ce changement
de cap. En revanche, Pauline qui a seulement 15 ans mais qui, depuis
longtemps, étudie
le chant avec son père, sèche ses larmes et se prépare
tranquillement à prendre la relève de son aînée.
Peu importe pour elle que ce soit par le piano ou par la voix, ce
qui l’intéresse,
c’est la musique, celle qu’elle interprète, celle qu’elle
compose, celle des autres.
Caricature de Maurice Sand
Sa première apparition en public a lieu en 1839,
dans un climat de grande émotion ... et de curiosité. Ce
sera le point de départ d’une carrière éblouissante
qui la mènera aux quatre coins de l’Europe. George
Sand est
immédiatement fascinée et écrira : «C’est
la seule femme que j’ai aimée avec un enthousiasme sans mélange.
C’est le plus grand génie de l’époque».
Elle prend Pauline Viardot comme modèle pour incarner l’héroïne
de son roman Consuelo. Quant à Chopin, dès qu’il voit
Pauline, il se porte mieux, tousse moins, recommence à composer
et passe des heures avec elle pour déchiffrer la musique qu’ils
aiment. Le Don Juan de Mozart (**) est quotidiennement à l’honneur
mais aussi les vieilles chansons françaises ou espagnoles. Maurice
Sand, le fils de George, nous a laissé le témoignage de la
complicité musicale de Chopin et de Pauline Viardot dans des situations
inverses de celles qu’on attend et ce commentaire amusant de Chopin « ça,
c’est le jeu de Liszt… Il n’en faut pas pour accompagner
la voix ».
Pour Pauline, entre deux tournées, la maison de
Nohant est sa maison et le séjour, un paradis, surtout si les trois « grands » qui
l’aiment comme leur fille, sont réunis. Le troisième,
c’est Eugène Delacroix qui fait de longs séjours à Nohant
et qui, chez Pauline, n’admire pas seulement la musicienne, mais
aussi le peintre qu’elle aurait pu devenir si elle avait consacré du
temps à cet art.
Louis Viardot
Dès le début de sa carrière, Pauline
Garcia épouse Louis Viardot, alors Directeur du
Théâtre
des Italiens mais qui donne très vite sa démission après
son mariage. Homme de goût et de culture, hispanisant reconnu, il
sera le premier traducteur du Don Quichotte de Cervantès.
En politique, il est opposé à Napoléon III, et
c’est une des raisons de l’installation
de la famille à Baden-Baden. Beaucoup plus âgé que
sa femme, il se consacre à sa carrière et lui donne quatre
enfants : Louise Claudie, Marianne et Paul. Quand on connaît les
excellentes relations d’Ivan Tourgueniev et de Louis Viardot, il
est légitime de s’interroger sur celles de Pauline et de son
mari. George Sand, qui estimait beaucoup Louis et partageait ses
opinions politiques, était très lucide sur la manière
d’aimer
de Pauline. Elle est «tendre, chaste, généreuse,
grande, sans orage .../ sans passion en un mot» Sa passion,
elle la réserve
pour son art !
Tout au long de sa carrière, Pauline Viardot va
attirer, bien souvent jusqu’à la passion, les plus grands
esprits de son temps. Schumann l’admire au point de lui dédicacer
ce chef-d’oeuvre que sont les Liederkreis et Brahms sa Rhapsodie
pour alto, choeur et orchestre. Clara Schumann, considérée
comme la plus grande pianiste de son temps, participe aux brillantes
soirées
données par Pauline dans sa belle maison de Baden-Baden et n’hésite
pas à jouer avec elle. Berlioz, si ombrageux habituellement, sollicite
son avis, écoute ses conseils et tombe éperdument amoureux
lorsqu’il collabore avec elle pour transposer l’Orphée de Gluck de manière à ce qu’elle puisse en être
l’interprète. Saint-Saëns est un grand ami et un voisin
puisqu’il habite Louveciennes. C’est à Bougival que
Pauline monte avec ses amis et ses élèves son Samson
et Dalila que l’Opéra vient de refuser. Gabriel
Fauré est un
habitué du salon de Bougival. Il dédie sa Sonate piano-violon à Paul
(fils de Pauline), des mélodies à Pauline ou à ses
filles et devient le fiancé « malheureux » de Marianne.
A la fin de sa vie, Fauré évoquait encore
avec nostalgie, les soirées de la famille Viardot à Paris
ou à Bougival,
car Pauline, comme George Sand à Nohant, a le merveilleux talent
de rendre les maisons vivantes et gaies et de les remplir d’amis.
La carrière de Pauline fut éblouissante
mais assez courte. Pour autant, sa vie fut aussi active et brillante que
lors de ses succès
de diva. Douée d’une intelligence hors du commun, d’une
immense culture, d’un charme fait de bonté, de gaîté et
d’une vitalité exceptionnelle, elle garda et put même
approfondir toutes ses anciennes relations. Elle fit une large
part à l’enseignement
et eut enfin un peu de temps pour composer, ce qu’elle n’avait
jamais cessé de faire bien qu’elle-même ne se prit
guère
au sérieux. Chopin déjà adorait les mélodies
espagnoles qu’elle composait à partir des chants et des
danses de sa patrie. Avec une facilité déconcertante,
elle mit en musique les poèmes russes ou allemands que Tourgueniev
lui dénichait.
Enfin, elle composa des opérettes qu’elle faisait jouer
par ses élèves, Cendrillon et le Dernier Sorcier par
exemple qui fut joué en 1883 à Bougival. Ce fut la dernière
joie de Tourgueniev qui devait mourir peu après.
Depuis peu, on commence à reconnaître son talent de compositeur.
En 2010, pour le centième anniversaire de la mort de Pauline Viardot,
l’auditorium du Musée d’Orsay programme Cendrillon et
l’Opéra au Village présentera Le Dernier Sorcier au
Festival de Pourrières. Cette même année, le Festival
de Bougival s’est ouvert le 18 mai dans la Villa Viardot avec un
programme consacré à Pauline Viardot présenté par
l’Atelier Sons Croisés.
* La maison d’Ary Scheffer abrite aujourd’hui
le charmant «Musée
de la Vie Romantique» (16 rue Chaptal 75009 Paris). Il est situé dans
ce quartier qu’on appelait la Nouvelle Athènes parce que
beaucoup de peintres, de musiciens et d’écrivains y habitaient.
Frédéric
Chopin et Pauline Viardot étaient les invités les plus
appréciés
et les plus désirés lors des chaleureuses soirées
qui avaient régulièrement lieu dans l’Atelier du
peintre.
** En 1850, Pauline Viardot vendra tous ses bijoux pour
acquérir
la partition manuscrite de Don Giovanni. Elle fit confectionner
un superbe coffret en bois de thuya pour la conserver. En 1903 (soit
7 ans avant sa
mort), elle la légua à la Bibliothèque du Conservatoire
de Paris. La partition est maintenant conservée dans le département
de la Musique de la Bibliothèque Nationale.

BnF, département de la Musique -
Couvercle du coffret en thuya qui contient la partition
L’étrange roman d’amour
de Pauline Viardot et d’Ivan
Tourgueniev !
Dessin de Pauline Viardot
Très jeune, la carrière de Pauline Viardot
la conduisit aux quatre coins de l’Europe et c’est lors de
sa première tournée à Saint-Pétersbourg qu’elle
rencontra pour la première fois Ivan Tourgueniev. Il n’est
encore qu’un jeune poète inconnu, mais il est beau, séduisant,
issu d’une grande et noble famille. Il est fasciné par cette
jeune cantatrice éblouissante qui a tous les Russes à ses
pieds, couple impérial compris.
Ce qui est surprenant, c’est que cet amour ait duré 40 ans,
qu’Ivan Tourgueniev se soit attaché à toute la famille
Viardot et que, partout où Pauline choisissait de s’installer,
Ivan Tourgueniev suivait.
Ainsi à Paris, puis à Baden-Baden, la capitale d’été de
l’Europe, le rendez-vous obligé des têtes couronnées
et de l’intelligentzia. Les concerts, mondanités et spectacles
se devaient d’être du niveau des plus grandes capitales. Pauline
Viardot était la reine incontestée de cette élégante
société.
La défaite de 1870 rendit moralement impossible à des
Français de continuer à séjourner en Allemagne. La
famille Viardot et Ivan Tourgueniev revinrent donc en France et s’installèrent à Paris.
Très vite ils cherchèrent à acquérir une propriété aux
environs pour y séjourner dès les premiers beaux jours. Etant
donné la vogue
dont jouissait alors Bougival, il n’est guère surprenant que
la famille Viardot et Ivan Tourgueniev s’y soient fixés. Ils
louèrent d’abord la Garenne, une belle propriété située
au-dessus de l’église et c’est là qu’Ivan
Tourgueniev tombera amoureux de Bougival et qu’il découvrira
que nulle part il n’est aussi heureux. A Paris, il écrivait
peu et difficilement. Bougival l’inspirait mieux et il y écrira
quelques-unes de ses plus belles oeuvres et une grande partie de
sa correspondance.
La propriété, dite “des Frênes”, fut achetée
en 1874 et, dès l’année suivante, Ivan Tourgueniev
s’installait dans la “Datcha” qu’il avait fait
construire dans le parc pour vivre au plus près de sa bien-aimée
Pauline. Mais finalement, c’est de toute la famille Viardot qu’Ivan
Tourgueniev était amoureux. Il chassait et discutait avec ce fin
lettré qu’était Louis Viardot et il veillait à l’éducation
des quatre enfants qu’il adorait.
La vie de ces deux personnages aujourd’hui méconnus
nous conduits en fait au coeur de la littérature et de la musique
du XIXe siècle
et fait de ces maisons « des lieux de mémoire » d’une
rare qualité.
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